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LA SOUMISSION CHIMIQUE : ETAT DES LIEUX LEGISLATIF ET OUTILS DE PREVENTION

Le 03 décembre 2024
LA SOUMISSION CHIMIQUE : ETAT DES LIEUX  LEGISLATIF ET OUTILS DE PREVENTION
Le 30 novembre 2024, la Mairie du 6ème a accueilli une conférence sur la soumission chimique en la journée internationale de lutte sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes. Voici ma présentation à travers le prisme du droit.

CONTEXTE

Le 30 novembre 2024, la Mairie du 6ème a accueilli cette conférence sur en cette journée internationale de lutte sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes.

Merci à :
• Monsieur le Maire Jean-Pierre Lecoq,
• Monsieur Guillaume Godet,
• Mme Chantal Lambert Burens,
• Madame Iris Berthomier,
• Madame Valérie Margerte
- Monsieur Ayih Ekue
- Madame Johanna Rozenblum
- Monsieur Frederic Munsch
Pour leur confiance et ce moment de partage.

A cette occasion, l’association Violences et Droits des Femmes et ses intervenantes ont affirmé leur engagement et leur soutien à la lutte contre la soumission chimique.

Ont été abordés pour donner à cette conférence toute sa consistance et sa raison d’être :
• La réalité de la soumission chimique ainsi que les conséquences de cette pratique,
• la prise de conscience croissante et la volonté d'agir contre ce fléau (circulaires, ANSM, Afssaps, Conseil de l’Europe, commission des stupéfiants de l’ONU, Gouvernement Français) ;
• Le « procès d’Aix » de 1978 de Gisèle Halimi qui a fait avancer la loi et la façon dont le viol est traité aujourd’hui ;
• les notions de consentement (présomption de consentement et preuve de non-consentement) ;
• l’état des lieux des textes normatifs internationaux et nationaux ;
• l’état des lieux judiciaire, les axes d’amélioration ;
• le rôle pro actif des victimes, l’appel à la conscience collective pour repérer et assister les victimes ;
• les travaux initiés par la Députée Sandrine Josso et l’association « M’endors pas » ainsi que les mesures sollicitées ;
• les réflexions législatives à mener autour des agresseurs et leur éducation,

Une conférence d'utilité publique permettant de sensibiliser chacun sur cette pratique déplorable et la prévenir.

L'article ci-après reprend les grandes lignes de mon intervention.

INTRODUCTION

La soumission chimique constitue une méthode insidieuse et délibérée visant à manipuler une personne par l'administration de substances psychoactives, souvent à son insu. En altérant la volonté, le discernement ou la capacité de résistance des victimes, cette pratique permet la commission d'actes graves tels que des agressions sexuelles, des vols ou d'autres atteintes à l'intégrité physique et psychique. Cette problématique, au croisement des enjeux juridiques, sociaux et sanitaires, interpelle sur la nécessité d’une réponse globale et coordonnée.

Si les législations nationales et internationales reconnaissent indirectement ce phénomène, elles peinent encore à le définir et à le réprimer de manière spécifique. De même, les systèmes judiciaires font face à des obstacles majeurs dans l’identification et le traitement de ces cas, en raison de la nature fugace des preuves et des conséquences psychologiques sur les victimes. Il devient alors impératif de renforcer les cadres normatifs, d'améliorer les pratiques judiciaires et d'éduquer la société pour mieux prévenir, détecter et punir ces actes.

Cette réflexion s'articule autour de cinq axes principaux : l’analyse des textes juridiques existants, l’identification des lacunes judiciaires, et la proposition de solutions concrètes pour combattre ce fléau. Elle offre des outils aux victimes afin qu’elles reprennent leur pouvoir de manière proactive pour une application efficace de la loi. Elle se conclut par un appel à une mobilisation collective, condition essentielle pour garantir la sécurité et la dignité des victimes.

PARTIE 1 : ETAT DES LIEUX DES TEXTES NORMATIFS NATIONAUX ET INTERNATIONAUX 

I.                    Législation internationale

Les cadres juridiques internationaux, bien qu’ils ne mentionnent pas directement la soumission chimique, posent des fondations essentielles pour la prévention et la répression des violences facilitée par des substances psychoactives. Ces textes s’inscrivent dans une démarche globale de protection des droits humains et de lutte contre les violences sous toutes leurs formes.
        A. Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (1979)
Cette convention, adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies, engage les États signataires à adapter leur législation pour protéger les femmes contre toute forme de violence, y compris celles facilitée par l’usage de drogues ou de substances chimiques. Bien que la soumission chimique ne soit pas expressément citée, elle entre dans le cadre des actes que les États doivent prévenir et sanctionner.
          B. Convention d’Istanbul (2011)
Les articles 33, 36 et 40 de cette convention soulignent l’obligation des États membres de criminaliser les actes de violence, y compris ceux où la victime est rendue incapable de consentir par des moyens physiques, chimiques ou psychologiques. Cette disposition couvre indirectement les cas de soumission chimique.
       C. Directives européennes sur la protection des victimes de crimes (2012)
Ces directives définissent des normes minimales pour protéger les victimes de violences, notamment sexuelles, et insistent sur l’importance d’un soutien adapté aux besoins spécifiques des victimes. Bien que la soumission chimique ne soit pas explicitement abordée, elle s’inscrit dans la problématique plus large des violences subies par des personnes vulnérables.
          D.Organisations internationales (ONU, OMS)
L’Organisation mondiale de la santé et l’ONU militent pour une reconnaissance explicite de la soumission chimique dans les législations nationales. Elles la considèrent comme une méthode de violence grave nécessitant des réponses juridiques adaptées.

II.                 Législation nationale

A.      Pas d’infraction de soumission chimique spécifique en droit français

En France, la soumission chimique ne fait pas l’objet d’une infraction autonome. Toutefois, elle est prise en compte à travers des dispositions générales qui permettent d’encadrer et de sanctionner cette pratique selon le contexte dans lequel elle se manifeste.
1. Empoisonnement et administration de substances nuisibles 
L’article 222-15 du Code pénal qualifie l’administration intentionnelle de substances nuisibles comme une atteinte grave à l’intégrité physique ou psychique. Cette infraction, introduite dans la loi de 1992 et renforcée en 2007, constitue l’une des bases juridiques pour sanctionner les cas de soumission chimique.
2. Harcèlement moral et violences psychologiques avec substances chimiques
En vertu de l’article 222-33-2 du Code pénal, le harcèlement moral, notamment dans le cadre des relations conjugales, peut inclure l’utilisation de substances visant à manipuler ou affaiblir la résistance de la victime. Cette disposition est applicable lorsque des substances chimiques sont utilisées pour exercer une pression psychologique.
3. Violences sexuelles et circonstances aggravantes 
Les articles 222-24 et 222-29-1 du Code pénal prévoient que l’administration de substances psychoactives dans le cadre de violences sexuelles constitue une circonstance aggravante. Les peines peuvent aller jusqu’à 20 ans de réclusion criminelle en cas de viol, ou jusqu’à 7 ans d’emprisonnement pour des agressions sexuelles hors viol.

B.      Autres avancées normatives luttant contre la soumission chimique en France

La loi et les textes internationaux ne sont pas les seules sources normatives à jouer un rôle dans la lutte contre la soumission chimique.

En 2002, une circulaire a été publiée pour organiser la prise en charge des victimes dans les établissements de santé. 

En 2005, l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) adresse une lettre aux professionnels de santé, précisant leur rôle dans la détection et la prise en charge des cas de soumission chimique.

En 2022, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) publie une enquête indiquant une augmentation de près de 20 % des cas de soumission chimique vraisemblables entre 2021 et 2022.

Enfin en 2024, une expérimentation a été lancée pour rembourser les kits de détection de substances psychoactives par l’Assurance maladie dans certains départements. 

L’ensemble de ces dispositions fait directement référence à la soumission chimique.
Elles constituent des avancées qui reflètent une prise de conscience progressive face à ce phénomène, bien que des lacunes subsistent.

C.      Quid de la soumission chimique à l’étranger ?

Dans certains pays, la soumission chimique est explicitement mentionnée comme une circonstance aggravante dans les affaires d’agression sexuelle, car elle implique une manipulation délibérée de la capacité de la victime à résister ou à comprendre ce qui lui arrive.

Des lois ont ainsi été adoptées pour combattre spécifiquement la soumission chimique. Ces lois stipulent que l'utilisation de drogues pour commettre des violences sexuelles entraîne des peines plus sévères.

C’est le cas de l’Espagne, du Canada, du Royaume-Uni et des Usa, notamment en Californie

D.      Débat autour du consentement et du discernement

La Soumission chimique fait directement écho aux notions de consentement et de discernement : en droit français, le consentement est l'accord libre et éclairé d'une personne à un acte juridique (contrat, mariage, etc.), sans pression ni erreur.

Le discernement, en revanche, est la capacité de comprendre les conséquences de cet acte, ce qui suppose un minimum de maturité et de lucidité. Une personne peut donner son consentement, mais si elle n’a pas le discernement, le consentement n’est pas valide.

Le discernement est donc une condition pour que le consentement soit juridiquement valable. Les deux sont nécessaires pour protéger la validité des actes.

La notion de consentement a été renforcée dans de nombreuses juridictions : certains pays ont adopté une législation affirmant que l'absence de consentement explicite suffit pour prouver une agression, sans qu'il soit nécessaire de prouver une résistance physique de la victime. Exemples : Suède Danemark Espagne Belgique Royaume Uni Irlande Finlande

En France, le consentement n’est pas explicitement mentionné dans les textes et notamment dans la définition de viol malgré le projet de loi déposé le 15 octobre 2024. C’est une avancée notoire pour reconnaitre directement sa prise en compte dans les débats judiciaires mais insuffisant. Le risque serait notamment :

1.       De faire peser sur la victime la charge de la preuve qu’elle n’a pas consenti de manière explicite.

2.       Réduire le viol à une simple question d’accord ou de désaccord verbal, ignorant les contextes où le consentement est obtenu sous contrainte, manipulation ou influence.

3.       Invisibiliser d’autres formes de violences sexuelles qui ne reposent pas uniquement sur l’absence de consentement.

4.       Importance de la violence et de la contrainte dans la définition : détourne l'attention du comportement de l'agresseur vers les actions ou les réactions de la victime

5.       Complexité des situations de non-consentement : "non" explicite ou une résistance visible.

6.       pb d’éducation sur les comportements sexuels responsables et respectueux, pour éviter que cela ne devienne une échappatoire juridique pour les agresseurs.

En somme, ces critiques ne rejettent pas l’importance du consentement en soi, mais soulignent les risques liés à son utilisation dans un cadre légal si cela détourne l’attention des dynamiques de pouvoir et des violences exercées par l’agresseur.

E.      Lacunes

Malgré des avancées considérables, de nombreuses lacunes subsistent :

-          Il n’existe pas de couverture de tous les cas de soumission chimique autres que ceux prévus par la loi (vol, escroquerie ou autre atteinte que sexuelle.

-          La question du consentement altéré telle que les textes le sous-entendent actuellement est ambiguë

-          Il n’existe pas à ce jour de reconnaissance explicite du caractère intentionnel de cet outil pour altérer le consentement.

PARTIE 2 : ETAT DES LIEUX JUDICIAIRE

I. Les difficultés dans la prise en charge judiciaire des victimes

Les victimes de soumission chimique font face à de nombreuses entraves dans leur quête de justice, ce qui compromet leur accompagnement et la reconnaissance de leurs droits. Voici les principales difficultés identifiées.

A.      Des délais judiciaires excessifs et décourageants

Les procédures judiciaires liées à ces affaires s'avèrent particulièrement longues et complexes, ajoutant une charge supplémentaire aux victimes déjà vulnérabilisées. Ces délais contribuent souvent à renforcer leur sentiment d'abandon et de découragement face à l’appareil judiciaire.

B.      Un phénomène de sous-dénonciation préoccupant

La soumission chimique est rarement signalée pour plusieurs raisons :

-          Honte et stigmatisation : Les victimes redoutent d’être jugées ou blâmées pour ce qui leur est arrivé.

-          Peur de ne pas être crues : Les contextes souvent flous et l'absence de témoins renforcent cette crainte.

-          Altération de la mémoire : Les substances utilisées induisent des pertes de mémoire, empêchant parfois les victimes de se souvenir des faits avec précision.

C.      La complexité intrinsèque des enquêtes

Les investigations sur ces infractions sont rendues difficiles par :

-          L’identification des substances incriminées, qui nécessitent des analyses poussées et rapides, souvent limitées par des délais de détection courts.

-          La difficulté de démontrer l’intentionnalité de l’acte, ce qui est pourtant un élément clé pour établir une infraction pénale.

D.      Un cadre juridique encore inadapté

Les délais de prescription appliqués, selon la jurisprudence de la Cour de cassation, varient en fonction de l'infraction et commencent dès leur mise en œuvre. Cependant, l’article 9 du Code de procédure pénale (CPP) pourrait permettre de repousser le début de la prescription au moment de la découverte des faits. Cette interprétation reste toutefois sous-exploitée, laissant de nombreuses victimes sans recours une fois le délai écoulé.

II. Traitement des affaires par les tribunaux

Le traitement judiciaire de la soumission chimique demeure un défi majeur pour les juridictions françaises. La jurisprudence, bien que partiellement développée sur ce sujet, met en évidence plusieurs éléments-clés pour traiter ces infractions. Cependant, de nombreuses lacunes subsistent, exigeant une adaptation plus affirmée des pratiques judiciaires.

A. Les enseignements de la jurisprudence sur la soumission chimique

La jurisprudence offre un cadre initial pour appréhender ces infractions, mais son application reste parfois limitée par des difficultés structurelles :

1. La caractérisation des éléments intentionnels

La soumission chimique exige la preuve d’une intentionnalité claire de la part de l’agresseur, que ce soit pour administrer une substance à l’insu de la victime ou pour tirer profit de l’état induit (vol, agression sexuelle, viol).

La preuve de l’intention est souvent indirecte, reposant sur des indices tels que le comportement suspect de l’agresseur avant ou après les faits. Cependant, ces éléments sont souvent jugés insuffisants en l’absence de traces toxicologiques.

La jurisprudence tend à exiger des preuves matérielles, comme des résidus de substances ou des témoins, ce qui limite les condamnations.

2. Le délai de prescription

La jurisprudence actuelle de la Cour de cassation applique le délai de prescription habituel, qui commence à courir au moment de l’infraction. Cependant, des décisions isolées ont suggéré que :

-          L’article 9 du Code de procédure pénale pourrait être utilisé pour repousser le point de départ de la prescription au moment où la victime prend conscience des faits.

-          Cette approche reste rare et mériterait une généralisation, notamment dans les cas où la mémoire de la victime a été altérée par la substance.

3. L’utilisation des preuves scientifiques

La jurisprudence met en lumière l’importance des expertises toxicologiques pour confirmer la présence de substances, mais :

-          Ces expertises sont souvent limitées par des délais de détection très courts pour certaines substances.

-          L’absence de traces ne signifie pas nécessairement une absence de soumission chimique, ce qui devrait inciter les tribunaux à considérer d’autres formes de preuves (témoignages, contexte des faits).

B.  Points faibles du traitement judiciaire actuel

Malgré ces bases jurisprudentielles, les tribunaux continuent à rencontrer des obstacles importants :

1. Un faible taux de condamnation

Les décisions judiciaires montrent une disproportion notable entre le nombre de signalements et le nombre de condamnations. Ce problème s’explique notamment par :

-          Une difficulté à établir un lien direct entre l’accusé et la substance administrée.

-          Une méfiance vis-à-vis des témoignages des victimes, surtout lorsque leur mémoire est floue ou lacunaire.

2. Une réticence à prononcer des peines exemplaires

Les juges hésitent à appliquer des peines lourdes, en partie en raison des preuves souvent circonstancielles. Cela crée un sentiment d’impunité chez les auteurs et une méfiance accrue des victimes envers la justice.

3. Un cadre législatif trop rigide

La qualification des infractions liées à la soumission chimique reste un défi. Bien qu’il s’agisse souvent d’un préalable à d’autres infractions (viol, agression sexuelle), la soumission chimique en elle-même devrait être reconnue comme une infraction autonome, avec des sanctions adaptées.

PARTIE 3 : AXES D’AMELIORATION

Le traitement judiciaire de la soumission chimique constitue une problématique complexe et persistante au sein des juridictions françaises. Bien que la jurisprudence ait apporté des éléments structurants, elle reste encore insuffisamment développée pour répondre aux spécificités de ces infractions. Les failles identifiées nécessitent une adaptation plus affirmée des pratiques judiciaires, accompagnée d'une évolution législative.

A.      Les enseignements de la jurisprudence sur la soumission chimique

La jurisprudence actuelle propose des orientations clés pour traiter les infractions de soumission chimique, mais elle révèle également certaines limites, notamment face aux défis spécifiques posés par ces affaires.

1. La caractérisation des éléments intentionnels

Pour qu’une infraction de soumission chimique soit retenue, la preuve d’une intentionnalité claire de l’agresseur est nécessaire. Cette intention se manifeste dans :

-          L’administration volontaire d’une substance à l’insu de la victime.

-          L’exploitation de l’état altéré de la victime pour commettre d’autres infractions (viol, agression sexuelle, vol).

Cependant, cette preuve repose souvent sur des indices indirects, tels que le comportement suspect de l’agresseur avant ou après les faits. La jurisprudence actuelle privilégie des preuves matérielles, comme la présence de substances ou le témoignage de tiers, rendant difficile la condamnation en l’absence de ces éléments tangibles.

2. Le délai de prescription

Les décisions jurisprudentielles appliquent généralement le délai de prescription habituel, qui commence à courir au moment de l’infraction. Toutefois, certaines décisions isolées ont montré qu’une application élargie de l’article 9 du Code de procédure pénale permettrait :

-          De fixer le point de départ de la prescription au moment où la victime découvre les faits, notamment en cas de mémoire altérée par une substance.

-          Cette approche, bien qu’encore rare, mérite une généralisation pour garantir l’accès des victimes à la justice.

3. L’importance des preuves scientifiques

La jurisprudence accorde une place centrale aux expertises toxicologiques pour confirmer la présence de substances chimiques. Cependant :

Les délais de détection des substances étant souvent courts, l’absence de traces ne signifie pas nécessairement qu’il n’y a pas eu soumission chimique.

Les juges devraient être incités à considérer d’autres formes de preuves, telles que les témoignages de la victime, les incohérences dans les déclarations de l’accusé ou le contexte des faits.

B. Les faiblesses persistantes dans le traitement judiciaire

Malgré les apports de la jurisprudence, des lacunes importantes subsistent, entravant une réponse judiciaire efficace et adaptée.

1. Un faible taux de condamnation

Le nombre de condamnations demeure disproportionnellement bas par rapport au nombre de signalements. Cela s’explique par :

-          Une incapacité à établir un lien direct entre l’accusé et l’administration de la substance.

-          Une tendance à minimiser les témoignages des victimes, en particulier lorsque leur mémoire est floue ou altérée par les effets des drogues.

2. Une réticence à prononcer des peines dissuasives

Les juges hésitent à infliger des sanctions exemplaires, souvent en raison de preuves jugées insuffisantes. Cette attitude :

-          Alimente un sentiment d’impunité chez les agresseurs.

-          Renforce la méfiance des victimes envers le système judiciaire, les dissuadant parfois de porter plainte.

3. Un cadre législatif inadapté

Bien que la soumission chimique soit souvent un préalable à d’autres infractions graves, elle ne bénéficie pas encore d’une reconnaissance en tant qu’infraction autonome. Cette absence limite :

-          La portée des enquêtes.

-          La capacité des magistrats à sanctionner spécifiquement cet acte.

C. Propositions pour améliorer le traitement judiciaire

Pour répondre efficacement aux spécificités de la soumission chimique, des réformes structurelles et procédurales sont nécessaires.

1. Adopter une approche probatoire plus souple

Inclure les indices contextuels (témoignages, incohérences) comme des preuves significatives, même en l’absence de preuves matérielles directes.

Accroître le recours aux expertises scientifiques pour évaluer les symptômes ou comportements des victimes, même lorsque les tests toxicologiques sont négatifs.

2. Repenser les délais de prescription

Généraliser l’application de l’article 9 du CPP pour reporter le point de départ des délais de prescription à la découverte des faits.

Introduire des délais de prescription spécifiques à ces infractions, prenant en compte les délais de réaction des victimes.

3. Créer une infraction autonome de soumission chimique

Reconnaître juridiquement la soumission chimique comme une infraction distincte, assortie de sanctions proportionnelles à sa gravité.

Distinguer clairement cet acte des infractions subséquentes (viol, vol) pour renforcer sa visibilité et sa prise en compte dans les procédures judiciaires.

4. Renforcer la spécialisation des juridictions

Mettre en place des pôles spécialisés, composés de magistrats formés aux particularités des violences par soumission chimique et aux limites des expertises toxicologiques.

5. Sensibiliser les acteurs judiciaires

Former juges, avocats et procureurs sur les mécanismes psychologiques et physiques liés à ces infractions.

Organiser des campagnes de sensibilisation pour encourager les victimes à porter plainte et réduire la stigmatisation associée.

Le traitement judiciaire de la soumission chimique met en lumière des défis importants liés à la collecte des preuves, à la rigidité du cadre légal et à une application encore hésitante des sanctions. Bien que la jurisprudence ait posé les premières pierres, il est crucial d’élargir et de renforcer les pratiques judiciaires pour garantir une réponse adaptée et dissuasive. Une telle évolution passe par une meilleure reconnaissance des réalités des victimes et par l’intégration de nouvelles approches probatoires et législatives. Les tribunaux doivent devenir des alliés solides dans la lutte contre ces infractions insidieuses, afin de restaurer la confiance des victimes dans le système judiciaire.

PARTIE 4. VICTIMES DE SOUMISSION CHIMIQUE : UN RÔLE PROACTIF DANS LE TRAITEMENT JUDICIAIRE

La soumission chimique est une infraction grave nécessitant une réaction rapide et organisée pour assurer la sécurité des victimes, préserver les preuves essentielles et initier un traitement judiciaire efficace. En adoptant une posture proactive, les victimes peuvent non seulement contribuer à leur propre protection mais aussi jouer un rôle déterminant dans le processus judiciaire. Cela souligne l'importance d’une sensibilisation accrue et d’un accompagnement adapté.

A. Assurez votre sécurité immédiate

La priorité absolue pour une victime présumée de soumission chimique est d’assurer sa sécurité. Il est crucial d’agir sans attendre pour se protéger et alerter les autorités compétentes.

1. Éloignez-vous du danger

Quittez immédiatement le lieu ou éloignez-vous de la personne suspectée.

Cherchez refuge dans un espace public ou demandez de l’aide à une personne de confiance.

2. Contactez les secours

Composez le 112 (en Europe) ou le numéro d’urgence de votre région pour signaler la situation.

Demandez également une assistance médicale si nécessaire ou sollicitez des mesures de protection immédiates.

Ces actions initiales permettent non seulement d’assurer votre sécurité, mais aussi de poser les bases d’une intervention rapide et coordonnée.

B. Préservez les preuves

La préservation des preuves est essentielle pour appuyer une éventuelle enquête judiciaire. En adoptant les bons réflexes, vous augmentez les chances de démontrer l’existence de la soumission chimique.

1. Évitez de consommer quoi que ce soit

Abstenez-vous d’ingérer de la nourriture, des boissons ou d’autres substances avant d’avoir consulté un médecin, afin de ne pas altérer les échantillons biologiques.

2. Ne modifiez pas votre apparence

Ne vous lavez pas, ne changez pas de vêtements et ne jetez aucun objet susceptible de contenir des traces de substances chimiques.

3. Prenez des notes détaillées

Notez tout ce dont vous vous souvenez : lieu, heure, personnes présentes, et événements marquants. Ces informations pourraient s’avérer cruciales pour orienter l’enquête.

C. Consultez rapidement un médecin

Un examen médical rapide est indispensable pour identifier les substances potentiellement administrées et documenter les effets de la soumission chimique.

1. Rendez-vous aux urgences

Faites-vous examiner par un professionnel de santé dès que possible.

2. Demandez un dépistage toxicologique

Insistez pour un test de dépistage, en précisant que vous suspectez une soumission chimique. Certaines drogues, comme le GHB ou les benzodiazépines, disparaissent rapidement des échantillons biologiques (parfois en quelques heures).

3. Signalez tous les symptômes

Mentionnez tout trouble ressenti, tel que des étourdissements, une perte de mémoire, une somnolence inhabituelle ou toute autre anomalie.

D. Déposez plainte et demandez réparation

L’étape judiciaire est fondamentale pour garantir que les faits soient reconnus et sanctionnés. Il est important d’engager des démarches rapidement et de manière structurée.

1. Déposez plainte

Rendez-vous au commissariat ou à la gendarmerie pour signaler l’incident.

Vous pouvez également écrire directement au procureur de la République, seul ou via un avocat.

Vous pouvez également agir en responsabilité civile et vous faire indemniser par la CIVI

2. Apportez toutes les preuves

Fournissez les informations collectées, en soulignant les éléments susceptibles d’indiquer une soumission chimique (comportements suspects, symptômes observés, etc.)

3. Demandez réparation

Adressez-vous à la Commission d’Indemnisation des Victimes d’Infractions (CIVI) pour obtenir une compensation financière.

Engagez, si nécessaire, des procédures pénales ou civiles à l’encontre des auteurs présumés.

E. Demandez un soutien psychologique

La soumission chimique, en tant qu’agression, peut avoir des répercussions psychologiques profondes. Il est essentiel de ne pas négliger cet aspect pour reconstruire sa santé mentale et émotionnelle.

1. Consultez un professionnel

Sollicitez l’aide d’un psychologue spécialisé dans le soutien aux victimes de violences.

Vous pouvez également vous tourner vers des associations d’aide aux victimes pour bénéficier d’un accompagnement gratuit ou à moindre coût.

2. Entourez-vous d’un réseau de soutien

Le soutien moral de vos proches et de professionnels peut grandement contribuer à votre rétablissement.

F. Prévenez vos proches

L’entourage joue un rôle clé dans l’accompagnement des victimes. Informer une personne de confiance peut renforcer votre sécurité et offrir un soutien précieux tout au long des démarches.

1. Partagez les informations

Expliquez la situation à un proche de confiance qui pourra vous aider à organiser les différentes étapes (consultations, plaintes, etc.).

2. Bénéficiez d’un soutien continu

L’accompagnement de votre entourage peut être essentiel pour surmonter les traumatismes liés à l’agression et pour maintenir votre détermination dans le cadre des procédures judiciaires.

En agissant rapidement et de manière organisée, les victimes de soumission chimique peuvent non seulement protéger leur intégrité mais aussi maximiser leurs chances de justice. En adoptant une posture proactive, elles contribuent à faire valoir leurs droits tout en renforçant l’efficacité du traitement judiciaire de ces infractions. Pour cela, il est impératif de renforcer la sensibilisation des victimes, d’améliorer l’accompagnement institutionnel, et de mettre en place des mesures adaptées pour garantir un accès équitable à la justice.

PARTIE 5 : INVITATION A LA CONSCIENCE COLLECTIVE

La lutte contre la soumission chimique et ses dérives repose sur une prise de conscience collective. L’unité et la sensibilisation jouent un rôle clé dans la transformation sociale et législative. Plus les citoyens seront informés et vigilants, plus ils pourront contribuer à faire progresser la justice et la protection des victimes.

I. Fabrication du consentement dans la vie quotidienne

Le consentement, concept fondamental dans une société libre et éclairée, peut être fabriqué ou manipulé, non seulement à travers la soumission chimique, mais aussi via des outils plus insidieux, comme la propagande ou l’emprise psychologique. Il est important d’en prendre conscience pour éviter tout débordement.

A. La manipulation du consentement

La soumission chimique est une méthode extrême de privation du consentement, mais elle s’inscrit dans un spectre plus large de stratégies manipulatoires.

La loi du 10 mai 2024 introduit l’infraction de sujétion psychologique dans l’article 223-15-3 du Code pénal, reconnaissant ainsi les effets destructeurs de l’emprise mentale.

B. Le processus de conditionnement

Dans son ouvrage Propaganda, Edward Bernays décrit comment le consentement peut être construit par un conditionnement répété. Il donne un Exemple historique auquel il a participé en faisant l’usage de cette sujétion psychologique : lors de la Première Guerre mondiale, le président américain Wilson, initialement opposé à l’entrée en guerre, a permis, grâce à une campagne de propagande massive, de convaincre l’opinion publique qu’elle avait fait ce choix librement.

C. Des outils à double tranchant

Si ces mécanismes peuvent servir à manipuler, ils peuvent également être utilisés par les citoyens pour initier des révolutions sociales. Cela soulève des questions essentielles sur la liberté individuelle, le consentement éclairé, et la capacité de chaque individu à résister aux dérives manipulatoires.

D. Une éducation pour renforcer la conscience collective

Une élévation de la conscience par l’éducation est nécessaire pour permettre aux individus de repérer et de contrer ces mécanismes. Ces thèmes sont abordés plus en détail dans un livre à paraître en juin 2024, dédié à la question de l’emprise.

II. Identifier une victime potentielle pour une lutte collective

La détection précoce des victimes est un élément clé pour prévenir des actes graves et renforcer l’action collective contre ces pratiques.

A. Signes physiques

État de confusion, désorientation ou perte de mémoire.

Somnolence ou fatigue soudaine et excessive.

Difficulté à parler ou à se tenir debout.

Vision trouble, nausées ou perte de conscience inexpliquée.

B. Comportement inhabituel

La personne semble agir de manière différente ou incohérente.

Elle montre une anxiété ou une peur inexpliquée.

Ses réponses manquent de logique ou de cohérence.

C. Autres indices

Une boisson laissée sans surveillance, potentiellement altérée.

La victime mentionne des trous de mémoire ou une perte de contrôle inexpliquée, même en l’absence de consommation excessive d’alcool ou de drogue.

III. Comment assister une victime pour une lutte collective

Un soutien rapide et efficace est crucial pour protéger la victime et l’aider à entamer des démarches judiciaires.

A. Assurer la sécurité immédiate

Éloignez la victime du lieu ou de la personne suspecte.

Placez-la dans un endroit calme et rassurez-la en restant à ses côtés.

B. Évaluer son état

Vérifiez si elle est consciente et capable de communiquer.

Si elle est inconsciente ou en détresse respiratoire, appelez immédiatement les secours (112 en Europe).

Si elle est consciente, questionnez-la sur ce qu’elle a consommé et sur d’éventuels souvenirs anormaux.

C. Ne pas la laisser seule

Restez avec elle pour assurer sa sécurité.

Informez un proche ou une personne de confiance pour qu’elle soit accompagnée.

D. Préserver les preuves

Si une soumission chimique est suspectée, empêchez la victime de consommer de la nourriture ou de l’eau.

Ne la laissez pas se laver, se maquiller ou changer de vêtements.

Conservez la boisson ou tout autre élément suspect pour une analyse toxicologique.

E. Obtenir une aide médicale

Contactez les urgences ou rendez-vous dans un centre médical.

Informez les professionnels de santé de la suspicion de soumission chimique pour qu’ils procèdent à des analyses rapides.

F. Encourager la victime à signaler l’incident

Expliquez-lui l’importance de porter plainte auprès des forces de l’ordre.

Proposez de l’accompagner pour la rassurer et l’aider dans les démarches.

G. Proposer un soutien psychologique

La soumission chimique peut être traumatisante. Encouragez la victime à consulter un psychologue ou à contacter une association spécialisée dans l’aide aux victimes.

H. À éviter :

Ne minimisez pas ses propos : Prenez ses inquiétudes au sérieux, même si elle manque de souvenirs clairs.

Ne portez aucun jugement : La victime n’est jamais responsable des actes qu’elle subit.

Ne laissez pas l’incident sans suivi : Insistez sur la nécessité de consulter un médecin d’être accompagnée par des professionnels compétents et de porter plainte.

 

CONCLUSION

Le chemin parcouru est indéniable, avec de nombreuses évolutions marquant des avancées significatives dans la lutte contre la soumission chimique et ses dérives. Cependant, il reste encore beaucoup à accomplir pour renforcer la prévention, améliorer la prise en charge des victimes et garantir une justice équitable.

Un immense merci à tous ceux qui participent à ce combat, qu’ils soient acteurs de la justice, professionnels de la santé, associations ou simples citoyens engagés. Votre mobilisation est essentielle.

Enfin, un message de soutien à toutes les victimes : peu importe l’outil ou la méthode qui vous a privées de votre consentement, vous êtes puissantes, résilientes, et capables de surmonter cette épreuve. Continuez à vous battre, car votre courage inspire des changements durables et contribue à bâtir une société plus juste.

Cet article ne remplace pas une consultation personnalisée et j'espère qu'il pourra vous aider.

Le Cabinet de MAITRE VERGNE, Avocat au Barreau de Paris, domicilié au 1 rue de Sfax 75116 Paris, pratique les droits civil, commercial et pénal. Ce professionnel est donc compétent pour vous conseiller en droit droit pénal et notamment pour vous assister en cas de violences. Vous pouvez le contacter en cliquer sur la rubrique contact.